Drame ferroviaire dans la région de
Ksar El Kébir
LE TRAIN ET LA CHARRETTE
L'accident ferroviaire près de Ksar El Kébir, qui a fait 35 morts et 11 blessés, mercredi 1er mars 2000, a quelque chose de sous-développé. L'ONCF s'est empressé de rendre public un communiqué où il fait assumer l'entière responsabilité de ce qui est arrivé au chauffeur du tracteur qui tirait une charrette pleine d'ouvriers agricoles. Au lieu de se prononcer de cette façon catégorique, il aurait fallu attendre les résultats d'une enquête sérieuse que doivent mener les services de la gendarmerie.
Les images sont insoutenables. Bouleversantes. L'air empeste
l'odeur poignante de la mort. Une mort brutale et violente. Cruel
sort. Ce mercredi 1er mars 2000, le train assurant la liaison
Tanger-Casablanca a frappé de plein fouet un chariot transportant
des passagers, tiré par un tracteur agricole. L'accident
s'est produit vers 8 heures 35, à 7 km de la gare de Ksar
El Kébir, dans la commune rurale de Souaknia, lorsque le
tracteur s'apprêtait à traverser la voie ferrée.
Le bilan est lourd : 35 morts et 11 blessés graves. Aucune
victime n'est à déplorer parmi les passagers du
train. Celui-ci a heurté seulement la charrette. Autrement,
il aurait probablement déraillé. Ce qui aurait accentué
l'ampleur de la catastrophe. Le train a marqué un arrêt
de quelque 20 minutes, le temps de dégager la voie et la
débarrasser de certains corps déchiquetés
et ensanglantés, avant de continuer son bonhomme de trajet
vers la capitale économique.
Massacre
Les victimes, pour la plupart des femmes et des jeunes filles,
sont des travailleurs agricoles qui étaient donc à
bord du chariot. Ils se dirigeaient vers les champs où
les attendait la corvée du jour. Voilà que la mort
les a fauchés.
Ces derniers, transportés comme des marchandises ou du
bétail dans un morceau de ferraille, n'ont pu rien faire
pour sauver leur peau. D'autant plus que l'accident était
brutal. Quant au conducteur du tracteur, il l'a échappé
belle. Il est en fuite. Les images de la télévision
ont montré les lieux du drame.
Une rangée de cadavres allongés sur le sol et couverts
de tissus bariolés. Des éléments de la protection
civile s'affairant à évacuer les blessés
à bord d'un hélicoptère de la gendarmerie
royale. Alertés, les habitants de la région ont
accouru pour former un attroupement autour des lieux.
Les opérations de secours se sont déroulées
en présence de quelques officiels, notamment le ministre
du Transport Mustapha Mansouri, son homologue de l'Intérieur
Ahmed El Midaoui et le commandant de la gendarmerie royale, le
général de division Housni Benslimane.
Brouillard
Les visages exprimaient la tristesse et la consternation. Une
ambiance chargée d'émotion et de regret. La délégation
a ensuite rendu visite aux blessés, à l'hôpital
militaire de Rabat et aux urgences de Larache pour s'enquérir
de leur état de santé.
S.M le Roi Mohamed VI, qui se trouvait à ce moment-là
en Espagne, a envoyé un message de condoléances
aux familles des victimes.
Qu'est ce qui s'est passé au juste ? Une passagère
blessée a raconté les circonstances du drame en
signalant qu'elle n'a rien vu venir à cause du brouillard.
Or, le communiqué de presse de l'Office national des chemins
de fer à propos de cet accident ferroviaire a fait l'impasse
sur ce détail. Un détail qui a toute son importance.
Omission, oubli, négligence ou volonté de cacher
la vérité ? En tout cas, le communiqué de
l'ONCF impute la responsabilité entière de l'accident
au conducteur du tracteur : "Malgré les coups de sifflet
du train, le conducteur du tracteur a voulu devancer ce dernier
et ne s'est pas arrêté, ce qui a provoqué
l'accident".
Le verdict est accablant. Sans appel. Aucune place au doute. Comme
d'habitude, les trains marocains ont toujours raison. Ils ne sont
pas fautifs. Les fautifs par contre ce sont les fous ou les inconscients
qui se mettent en travers de leur chemin. C'est comme ça
au Maroc.
Précipitation
Les responsables de l'ONCF auraient dû attendre les résultats
d'une enquête sérieuse qui est du ressort de la gendarmerie
en vue de déterminer les responsabilités et établir
les causes de cette tragédie au lieu de se fendre rapidement
d'un communiqué succinct, incomplet, froid et mal écrit.
Celui-ci, tel qu'il est griffonné, donne l'impression d'être
fait à la va-vite. Un procédé comme un autre
destiné plus à dédouaner l'office qu'à
informer le public.
D'ailleurs, le communiqué en question ne mentionne que
34 morts et 9 blessés. Première insuffisance.
Deuxième faille, le communiqué ne porte pas le nom
du rédacteur du communiqué au cas où le journaliste,
désireux d'obtenir plus d'éléments sur l'affaire,
voudrait le contacter. Plus, le rédacteur du communiqué,
certainement préposé seulement à innocenter
l'ONCF dans le drame, a oublié de présenter ses
condoléances aux familles des victimes. Où sont
les bonnes manières ?
Plus grave encore, la conclusion du communiqué : "ainsi,
le fléau que constitue le problème de la conduite
sur les routes continue à sévir". D'abord,
l'accident ne s'est pas produit sur une route mais sur une voie
ferrée. Ce qui ne fait que confirmer le caractère
bâclé du texte ou l'amateurisme de son rédacteur.
Les trois dernières phrases du communiqué sonnent
comme un aveu qui culpabilise l'ONCF.
Jugez-en : "A rappeler qu'en 1999 déjà une
catastrophe du même genre a été évitée
sur la même ligne lorsqu'un car de voyageurs a quitté
la route et est venu s'incruster dans la voie ferrée. Mais
à ce moment, le train avait pu s'arrêter à
temps". Bon réflexe du conducteur du train.
Réflexe
Par ces quelques mots, l'ONCF reconnaît inconsciemment que
le trajet Casa-Tanger est dangereux. Alors, qu'est ce qui a été
fait depuis 1999 pour remédier au problème pour
que les trains n'écrasent plus comme des mouches les passagers
de cars et autres ferrailles? Apparemment, rien. Puisque, cette
fois-ci, dans le cas qui nous intéresse, le conducteur
du train - ce n'est pas sa faute - ne s'est arrêté
qu'après avoir roulé sur les passagers de la charrette.
Selon toute vraisemblance, l'endroit où s'est produit l'irréparable,
à quelque 7 km de Ksar El Kébir, est un passage
fréquemment emprunté par des ouvriers agricoles
pour se rendre dans leur lieu travail.
Cette situation ne nécessitait-elle pas de sécuriser
ce lieu par un passage à niveau gardé de façon
à éviter ce genre de carnage ?
Le drame de Ksar El Kébir a quelque chose de super sous-développé.
Certes, cette région du Gharb se trouve sur l'axe Tanger-Casablanca,
mais en réalité rien n'indique qu'elle fait partie
du Maroc utile.
article parue sur maroc hebdo 2000